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VIRGILE FRAISSE
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En écho à la démarche de l’anthropologue, le travail de Virgile Fraisse investit, par le film et l’installation, les protocoles de communication. Se faisant critique de stratégies néo-libérales, les films examinent les influences culturelles des relations transcontinentales ; par exemple, par l’image du déploiement d’un câble de fibre optique sous-marin (SEA-ME-WE, 2015-2018), ou encore par la mécanique d’extension et d’absorption des modèles occidentaux (comme dans Situations Suivantes, 2014, par le processus d’américanisation de communautés sud-africaines). Dès lors, comment saisir les possibilités de contrer la colonisation des flux de circulation des images ? Sur le ton du pastiche, en parodiant les formats du film, qui deviennent alors des terrains de jeu, des playgrounds, des personnages incarnent tour à tour des positions contradictoires. Poursuivant cette logique dialectique, et pensées in situ, des installations évoquant des gestes d’architectes, conditionnent notre accès physique à l’information ; installations sommant l’audience de prendre posture.

Pragmatic Chaos

Pragmatic Chaos est un algorithme créé en 2009 dans le contexte d’un concours organisé par Netflix. Plusieurs équipes étaient mises en compétition dans une course contre la montre pour optimiser leur système de suggestion de films, Cinematch, faisant correspondre au plus proche une sélection de films aux goûts des différents utilisateurs.

Prenant ce modèle comme un symptôme devenant support de travail, Virgile Fraisse réalise une série de vidéos investiguant la liberté de nos choix dans ces systèmes implicites de classification et d’organisation. De manière générale, peut-on considérer la promotion et le masquage de contenus (film, actualité, etc.) comme autant d’entraves à l’organisation de la démocratie? Sur invitation de l’artiste, deux des épisodes de la série sont co-écrits par un invité au champ de spécialisation différent. Les épisodes de Pragmatic Chaos évoluent de façon discontinue en autant de situations analogues à trois personnes. 

Pragmatic Chaos — épisode un

2016, 8 mn 31

Production : Labor Zero Labor et Triangle France

Avec Gregor Daronian, Nina Durand-Villanova et Roman Kané

et la figuration de Xavier Baudry, Hoden Berasategui, Antonin Blanchard, Killian Cahier, Élise Carron, Théo Delaunay, Violaine Fauchet, Calogero Ghiaietta, Alexandre Larcier, Natasha Marie Llorens, Anne Marchis, Théophile Merchadou,Gaëtan Moret

Pragmatic Chaos – épisode deux

2016, 9 mn 16 

Production : Labor Zero Labor et Triangle France

avec Gregor Daronian, Nina Durand-Villanova et Roman Kané

co-écriture Antoine Dufeu et Virgile Fraisse

Pragmatic Chaos – épisode trois

2016, 11 mn 24

Production : Labor Zero Labor et Triangle France  

co-écriture Virgile Fraisse et Georgia René-Worms

Avec Gregor Daronian, Nina Durand-Villanova, Roman Kané, Johanna Bonnet et Rosalie Comby

et la figuration de Frédéric Morin, Agathe Alberti Bock, Ariane de Volkovitch, Astrée Roinsard

Pragmatic Chaos – épilogue,

2016, 3 mn 56

Production : Labor Zero Labor et Triangle France

Avec Gregor Daronian, Nina Durand-Villanova et Roman Kané

Entretien

Mo Gourmelon : C’est dans l’air, la série est un genre qui attire l’attention des artistes. Pour ne donner que deux exemples tout à fait récents : le projet en cours de tournage de Virginie Barré intitulée La Cascadeuse et à la Biennale de Rennes « Incorporated ! » Liv Schulmann déclinait sa série Control en six épisodes tout en entamant dans la foulée une nouvelle série Que faire à propos de scénaristes de TV démotivés, relisant pour l’occasion Saga de Tonino Benacquista cité d’ailleurs aussi comme référence dans le projet de Virginie Barré. Vous achevez vous-même votre première série intitulée Pragmatic Chaos, composée d’un épisode pilote, de deux épisodes et d’un épilogue. Vos références sont toutes autres, d’où vient ce projet ? Que vous permet ce nouveau format de quatre séquences et comment comptez vous le diffuser ?

 

Virgile Fraisse : Les séries sont apparues dans mon travail par une vidéo en 2014 nommée Situations suivantes. Il s’agissait de reproduire une chambre de scénaristes dans le contexte politique de l’Afrique du Sud. Cinq scénaristes tentaient de construire une comédie à partir du quotidien d’un groupe travaillant dans une mine de cuivre. C’était le processus d’une écriture constructive qui m’intéressait alors. Les projets suivants en ont hérité en se déployant en plusieurs chapitres. Il y a le projet en cours SEA-ME-WE qui est une série de films tournés dans des parties du monde connectées par un même câble sous-marin et dont j'ai réalisé récemment un chapitre à Bombay et la série Pragmatic Chaos.

Pragmatic Chaos est une série en quatre épisodes prenant son nom d’un algorithme créé dans le contexte d’un concours organisé en 2009 par Netflix. Plusieurs équipes étaient mises en compétition dans une course contre la montre pour améliorer l’algorithme de suggestion de films créé par Netflix, Cinematch. Malgré les résultats probants de l’équipe BellKor et la forte récompense d’un million de dollars, l’algorithme gagnant n’a jamais été utilisé par Netflix. Il y avait eu à ce moment une forte médiatisation du concours et je voulais le prendre comme point de départ à quatre tableaux révélant l’impact des systèmes de suggestion et de recommandation (algorithmes) sur notre quotidien. La série a été produite dans le contexte de l’exposition/télévision Labor Zero Labor à Marseille. Chaque épisode fut d’abord diffusé par le direct de cette télévision en ligne, puis mis à disposition en replay.

MG : Un artiste qui se réfère au genre série n’est pas contraint à un formatage du nombre d’épisodes ni à des durées imposées. Comment avez-vous déterminé ces données ? Comment décidez vous de réaliser 4 épisodes et d’une durée inégale ?

VF : La série Pragmatic Chaos a été pensée pour fonctionner avec un nombre réduit d’épisodes. Les trois premiers sont approximativement de durée égale alors que l’épilogue est plus court, agissant comme un instantané. Trois ont été tourné in situ dans le studio/espace d’exposition de la Friche, le dernier derrière les lettres Marseille installées par Netflix pour la promotion de leur série.

MG : La série originellement télévisuelle s’est déplacée sur Internet. Les artistes qui s’en réfèrent, s’y logent aussi pour y trouver un moyen de diffusion. A la télé, initialement on s’embarquait pour des mois, avec la programmation d’un épisode hebdomadaire, jouant sur les tensions, le désir, l’attente, la frustration. Je pense à la série interminable Peyton Place (on disait feuilleton), dont le livre de référence du même titre écrit par Grace Metalious a été republié en 2016. L’appréhension des séries relève désormais de la simultanéité et l’ordre prévu par le réalisateur n’est pas forcément respecté. Pense-t-on à cela en réalisant une série actuellement ?

VF : La stratégie de Netflix de rendre disponible d’un coup la totalité des épisodes d’une nouvelle saison a beaucoup influencé la production de nouvelles séries. Par exemple, les épisodes de la série Black Mirror sont tous autonomes traitant toutefois du même sujet, on peut donc prendre la série par n’importe quel bout. C’est ce processus qui a influencé Pragmatic Chaos. Seule la présence des trois mêmes acteurs convoque une possible linéarité narrative. Les deux épisodes centraux ont été respectivement coécris par Antoine Dufeu et Georgia René-Worms. Il s’agissait de collaborer avec eux sur des espaces critiques qui leur étaient proche, le livre et sa diffusion d’une part et la construction d’une plateforme féministe d’autre part. Chaque épisode se voulait donc de renégocier les modalités de la série par des emprunts et influences diverses.

MG : En dehors des références et du contexte présents à l’esprit ou non, de la commande d’un algorithme par Netflix, je suis frappée par l’emphase de vos acteurs. Il existe un ton déclamatoire, un jeu fortement théâtralisé, une distribution de la parole, une courtoisie, bref l’anti « fuck » que Emmanuel Burdeau expose dans son essai consacré à la série The Wire. Les répliques ont été répétées j’imagine ? Comment avez-vous choisi vos acteurs et comment les avez vous embarqué dans cette série ? Par ailleurs quelle était votre direction d’acteurs ?

VF : Je crois que les images ont une responsabilité dans leur capacité à influencer le monde. On a pu le voir avec les élections présidentielles aux États-Unis qui ont été fortement marquées par les shows de Donald Trump. Je ne crois pas que le « fuck », si cinématographique et désinvolte, qu’il soit, constitue une réponse adéquate au monde contemporain. À sa place, je lui préfère une forme plus dissimulée d’ironie. L’écriture des épisodes ne se ménage pas de traits de colère ou de révolte, mais cette révolte tend à être construite.
Le travail avec les acteurs consistait à renforcer l’artificialité de situations mises en scènes dans un décor a minima. Il y a eu des répétitions mais l’accent était donné à une forme de spontanéité, offrant plus de place à l’interprétation du texte, et parfois à des improvisations. L’écriture théâtralisée a aussi été renforcée par le travail de co-écriture. Les nombreux réemplois d’extraits de texte dans chaque épisode vont également dans ce sens.

MG : J’ai été très sensible à ces personnages, cette jeune femme par exemple qui s’insurge pour l’utilisation du Français, ces deux autres jeunes hommes qui affirment une position, en ayant une parfaite maîtrise de la langue mais sans être pompeux. Ce que j’apprécie c’est que votre écriture n’est pas codée ce qui la rendrait générationnelle, ou communautaire : ce slogan qui est assez drôle : « Si vous n’avez pas d’i-phone, vous n’avez d’i-phone ». Vous parlez d’un décor a minima pour cette série. Vous dites que l’épilogue de Pragmatic Chaos dialogue directement avec Prédiction/Production, 2016. Pouvez-vous revenir sur ce film ? Il est aussi présenté dans la Saison Video 2017 et cette fois en dialogue avec Housewarming, 2016, de Effi Weiss & Amir Borenstein.

VF : Les trois premiers épisodes de Pragmatic Chaos se déroulent dans un décor simple – quelques cimaises en medium ; alors qu’à l’inverse, le dernier épisode utilise un décor réel – le dos des lettres installées par Netflix. Ce dernier prend la forme d’une visite et confronte la démesure du projet investigué par Netflix. Il fait écho à ma vidéo précédente Prédiction/Production qui annonçait la réalisation de cette même série, un peu comme un film d’anticipation. Prédiction/Production spécule sur la prétendue construction scientifique de la production de la série faisant référence à l’annonce du PDG de Netflix qui prétendait que les décisions quant aux lieux et au casting étaient prises grâce à des algorithmes. 

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